Une autre pratique de l'entreprise

Nous avons jusqu'ici principalement considéré la question de l'entreprendre sous l'aspect de la création mais, une fois choisi le statut, il s'agit encore de le faire vivre… Et si les statuts ne sont pas neutres, s'ils constituent une garantie minimum, les faire vivre au quotidien dans l'entreprise ne va pas forcément de soi. La différence de statut doit signifier la différence de pratiques mises en œuvre chaque jour par les « associés » des entreprises de l'économie sociale et solidaire.

Pour éclairer cette mise en pratique, revenons sur un certain nombre de notions clés, souvent nées au sein même de l'économie sociale et solidaire, largement reprises aujourd'hui par l'ensemble des entreprises… 

Deux de ces notions, supports et expressions de pratiques fondamentales des entreprises en termes de gestion, de management et de relation à leurs environnements, ont retenu notre attention :
  • la gouvernance, c’est à dire l’implication des parties prenantes,
  • et la richesse particulière produite par les entreprises de l'ESS, et l’appropriation collective de la valeur, dans le cadre de la finalité sociétale de l'entreprise.
Enfonçons le clou, et rappelons qu'avant d'être des spécificités des grandes entreprises américaines souhaitant mettre en place des garde-fous face aux gigantesques scandales financiers des années 80, ces concepts sont inscrits dans la logique même des entreprises de l'Economie Sociale et Solidaire.

La gouvernance autrement

Définition de la gouvernance d'entreprise – « Le gouvernement d'entreprise fait référence aux relations entre la direction d'une entreprise, son conseil d'administration, ses actionnaires et d'autres parties prenantes. Il détermine également la structure par laquelle sont définis les objectifs d'une entreprise, ainsi que les moyens de les atteindre et d'assurer une surveillance des résultats obtenus. Un gouvernement d'entreprise de qualité doit inciter le conseil d'administration et la direction à poursuivre des objectifs conformes aux intérêts de la société et de ses actionnaires et faciliter une surveillance effective des résultats obtenus.»

Double qualité et démocratie

Comme on l'a vu, la démocratie attachée au statut de sociétaire ou d'adhérent, selon le principe « une personne, une voix », est la première caractéristique du gouvernement d'entreprise des mutuelles, des coopératives et des associations.
Clairement, on parle ici du type de relation qui s'établit entre deux composantes de l'entreprise : d'un côté le sociétaire ou adhérent, de l'autre l'administrateur.
Rappelons que « dans une coopérative, tout client ayant souscrit une part sociale, de quelque montant que ce soit, devient sociétaire. Dans une mutuelle, tout client ayant souscrit un contrat, d'assurance par exemple, devient adhérent. Le sociétaire et l'adhérent prennent part au processus de décision en votant, selon le principe « une personne, une voix », aux élections. Les administrateurs des coopératives et des mutuelles sont donc élus par leurs membres ».

Ce type de processus de participation dans le choix des dirigeants (tout comme dans le contrôle de la gestion et de la stratégie de l’entreprise) vaut, bien entendu, également pour les associations. Ce droit des sociétaires/adhérents s'exerce au sein de l'Assemblé Générale souveraine.

Séparation des pouvoirs

Dans les associations, il n'existe pas de PDG, Président Directeur Général, mais généralement, un couple Président/Directeur. Cette « structure bicéphale, confrontation entre le court terme et le long terme » est un facteur d'équilibre essentiel de l'entreprise.
Dans ce schéma, le Conseil d'Administration, qui tire sa légitimité de l'Assemblée Générale et qui formule les orientations stratégiques, constitue le premier contre-pouvoir au sein de l'entreprise. « Il est le garant du respect des finalité de l'entreprise (…) et de sa pérennité ».

Ce contre-pouvoir fonctionne d'autant mieux que les administrateurs qui le composent disposent de moyens de contrôle de la réalisation et de la mise en œuvre des décisions prises. La formation, l'information et la participation sont d'autres éléments permettant de garantir cette efficacité. Le bilan sociétal est à ce titre un formidable outil d'évaluation participative.

Scop, gouvernance et management

La gouvernance, c'est aussi, du côté des Scop, un certain management et l'implication des salariés. Dans ce type d'organisation, « les salariés associés élisent parmi eux-mêmes leurs mandataires (gérants, administrateurs ou PDG), chargés de la direction et de la gestion quotidienne de l'entreprise. Dans la pratique, la nomination directe (SARL) ou indirecte (SA) du dirigeant par les associés salariés entraîne une nature plus équilibrée des relations entre les dirigeants et les salariés. Dans une coopérative, le dirigeant exerce le pouvoir hiérarchique, mais il sait que les droits et les devoirs sont réciproques : lui aussi doit rendre des comptes à la collectivité des associés, et par conséquent aux salariés. »

La richesse autrement

La RSE

La RSE, ou responsabilité sociétale et environnementale (ou responsabilité sociétale de l’entreprise) est une notion née dans les années 90. Son objectif est d'évaluer l'impact social et environnemental d'une entreprise vis-à-vis de l'ensemble de ses parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, territoires, collectivités, etc.).
En juillet 2001, le Livre Vert de la Commission Européenne définit la RSE comme « l'intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et aux relations avec les parties prenantes ».

Dans la définition européenne de la « Responsabilité Sociale de l'Entreprise », précisons que le terme « sociale » est traduit de l'anglais et doit être, en français, plutôt rapproché du terme « sociétale », lequel inclut le volet environnemental.
La RSE est donc la déclinaison des principes du développement durable à l'échelle de l'entreprise qui devient alors, théoriquement, autre chose qu'une machine à produire du profit.
Mais ces préoccupations économiques, sociales et environnementales doivent être prises en compte au niveau des stratégies de l'entreprise et non pas uniquement, comme on le constate souvent, au niveau du marketing ou de la communication ! Sur ce sujet, « la spécificité des acteurs de l'ESS reste d'être pro-actifs en matière de RSE».
Dans ce cadre, la gouvernance constitue l'un des vecteurs de mise en œuvre de la RSE et les entreprises de l'économie sociale et solidaire sont bien placées pour être des entreprises « socialement responsables ». Mais en plus de la garantie de leur statut, elles gagneraient à rendre plus visible cette qualité en mesurant leur « impact sociétal ». Le bilan sociétal leur est plus particulièrement destiné mais d’autres outils d’évaluation de la valeur sociale existent : SROI, Actifs immatériels, Innovation sociale...

Le bilan sociétal : un outil pour mesurer la RSE de l'ESS

« Il a été imaginé, en 2002, par le CJDES pour permettre aux entreprises de prendre en compte leurs valeurs autres que financières : citoyennes, environnementales, humaines, démocratiques… Expérimenté par une soixantaine d'entreprises en France, il a été récemment utilisé par la MACIF, des coopératives agricoles et l'Artésienne. Il repose sur une démarche strictement volontaire qui s'adresse aux grandes entreprises comme aux PME. Sa méthodologie implique l'ensemble des partenaires de l'entreprise, associés et salariés bien sûr, mais aussi clients, fournisseurs, collectivités locales, etc.
Une grille de 15 critères d'évaluation a été établie, parmi lesquels la compétitivité et l'efficacité, mais aussi le respect de l'environnement, l'éthique, l'utilité sociale, la citoyenneté interne et locale, etc. Les questionnaires permettent une auto-évaluation croisée qui touche tous les domaines de l'entreprise, de la politique des placements à celle des transports, en passant par la gestion des risques environnementaux. »

Aujourd'hui, les principaux indicateurs de croissance (PIB, croissance économique) sont de plus en plus contestés car ignorant la plupart des dimensions de bien-être individuel et collectif : la réalisation de services d'intérêt collectif, le lien social, le développement personnel, l'innovation technique ou sociale.
Les organisations de l'économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives et fondations) produisent non seulement des biens et des services mais aussi des effets collectifs positifs. Ce traitement de l'évaluation de la richesse socioéconomique générée relève d'approches expérimentales, le plus souvent sectorielles ou territoriales, dont les dénominations peuvent varier : utilité sociale, plus-value sociale, responsabilité sociétale et environnementale.
L'évaluation précise des richesses produites par les entreprises de l'économie sociale et solidaire est un enjeu majeur pour mettre en avant les pratiques et les réponses que l'économie sociale et solidaire peut apporter au modèle de développement économique, social et durable des territoires.
Aujourd'hui, malgré l'existence de diverses démarches expérimentales et d’outillage créés en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, l'utilité sociale produite par les activités de l'économie sociale et solidaire reste mal connue : sa mise en œuvre reste timorée et les expérimentations ne sont pas toujours comprises ou adaptées. A vous de jouer !

Une source pour d'autres indicateurs de richesses - Les actes du séminaire du 17 novembre 2009
 



Liens utiles :

Centre des jeunes dirigeants de l'Economie Sociale et Solidaire : www.cjdes.org
Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement : Recherche sur le mot clé « responsabilité sociale des entreprises » : www.developpement-durable.gouv.fr